Sujet : Voltaire a dit “J'écris pour agir”. Pensez-vous que
le rôle d'un écrivain soit de s'engager pour des causes?
Dissertation :
Dissertation :
Au
XVIIIe siècle, de nombreux auteurs ont mis leur art au service de la
pensée des Lumières. Ainsi, Condorcet, dans son essai intitulé
Réflexion sur l'esclavage des nègres (1781), lutte
pour l'égalité de tous les hommes et pour la cause abolitionniste.
Cette visée argumentative de l'oeuvre littéraire est aussi défendue
par Voltaire qui affirme : “J'écris pour agir”. La littérature
aurait donc pour but, selon le philosophe,de porter les idées de
l'auteur pour les causes qui lui tiennent à coeur. Voltaire soulève
ainsi la question du rôle de l'oeuvre littéraire : dans quelle
mesure doit-elle être un outil de lutte? Il s'agira tout d'abord de
montrer que la littérature peut être un moyen efficace de diffuser
les idées de l'écrivain, pour ensuite étudier les autres intérêts
de l'écriture. Enfin, la dimension multifonctionnelle de l'oeuvre
littéraire sera étudiée.
Tout
d’abord, la littérature peut se montrer propice à l’expression
des opinions de l’auteur. L’homme de lettres peut ainsi dénoncer
ce qui le scandalise parce qu'il est une figure de penseur dans la
société, mais aussi parce qu'il sait déjouer les interdictions.
Plusieurs
genres ont en effet pour but de dénoncer. Certaines formes
d’écriture sont par nature engagées. Le pamphlet, texte court qui
fait le blâme virulent et explicite d’une personne ou d’un évènement apparaît comme un outil efficace de transmission des
idées. On peut ainsi penser au Discours sur le
colonialisme d'Aimé Césaire. Dans cette œuvre, le
grand écrivain du XXe siècle fait une critique violente de la
colonisation.. De nombreux auteurs ont su utiliser leur plume pour
lutter contre les injustices. C’est par exemple le cas des articles
de l'Encyclopédie qui ont permis de diffuser les idées
des Lumières sur le pouvoir monarchique, la guerre ou encore
l'esclavage. L'écrivain se présente donc comme un acteur de la
société dans laquelle il vit et l'avantage de l'art est qu'il
permet parfois de déjouer la censure et d'imposer les réflexions
critiques malgré les interdictions.
Ainsi,
Voltaire critique discrètement l'aristocratie qui détient le
pouvoir dans l'incipit de Candide. La dénonciation
n'est toutefois pas interdite car elle se loge dans un texte
particulièrement ironique qui peut déjouer la censure. Montesquieu,
dans l'Esprit des lois, use du même stratagème pour
amener son lecteur attentif vers une réflexion contre l'esclavage,
dans le célèbre chapitre “Sur l'esclavage des nègres”. Au
siècle précédent, c'est la figure du lion chez La Fontaine qui
apparaît parfois comme l'image du roi, dans laquelle peut
éventuellement se reconnaître Louis XIV : dans “la Génisse, la
Chèvre et la Brebis en société avec le Lion”, le roi des animaux
impose sa tyrannie et se présente comme le miroir discret du pouvoir
abusif. Il s'octroie ainsi toutes les parts du gibier chassé,
privant de nourriture ses trois associées.
L'auteur
ne cherche cependant pas toujours à faire de l'oeuvre littéraire
le support d'un message engagé.
En
effet, la littérature peut avoir d'autres intérêts que de
véhiculer des idées. Le lecteur peut rechercher dans les livres un
divertissement ou un simple miroir du monde dans lequel il vit.
Le
succès du roman est ainsi dû au plaisir que procure sa lecture.
S'attacher à un héros et suivre ses aventures peut être l'unique
visée de l'oeuvre. Certains auteurs se fixent ainsi pour but de
procurer au lecteur un simple moment de divertissement. Les romans
policiers correspondent tout particulièrement à ce type d'ouvrages.
Avec la série des Sherlock Holmes, Sir Arthur Conan
Doyle a ouvert la voie à un genre qui connaît un grand succès. La
série Millenium du Suédois Stieg Larsson ou encore
les millions d'exemplaires du Da Vinci Code de Dan
Brown vendus témoignent bien de l'attirance des lecteurs pour ces
histoires palpitantes. Chez les plus jeunes, c'est la série des
Harry Potter de J.K.Rowling qui prouve encore le rôle
important de la littérature dans les loisirs.
Au-delà
du simple divertissement, l'oeuvre littéraire peut être un
témoignage objectif d'une époque, sans chercher à combattre pour
une cause. Les auteurs réalistes et naturalistes ont ainsi laissé
dans leurs romans de fidèles images de la société française du
XIXe siècle. Dans L'Assommoir, Zola peint la descente
aux enfers de Gervaise et Coupeau, ouvriers alcooliques, et dresse le
portrait des quartiers les plus populaires de la capitale.
Maupassant, dans ses nouvelles, nous donne une image réaliste de la
triste vie des petits employés de ministères et des paysans du pays
de Caux. Dans Toine, par exemple, c'est toute une
communauté normande qui est immortalisée, dans ses habitudes et son
langage qui se fait entendre au style direct
La
littérature apparaît dès lors comme un moyen d'instruire sur une
période historique, tout en racontant une histoire. Le problème
soulevé par la remarque de Voltaire peut trouver là sa solution :
la complexité de l'oeuvre littéraire lui permet d'instruire et
plaire en même temps.
Ainsi,
certains genres littéraires plaisants dénoncent en filigrane ce qui
scandalise les écrivains. Leur pouvoir est d'agir en divertissant.
Le voile de la fiction peut se montrer d’une grande efficacité.
C’est-ce que prône Horace, le poète latin, avec sa théorie du
« placere et docere ». L’apologue est ainsi une forme
privilégiée de l’engagement en littérature. Dans ses
Fables, Jean de La Fontaine
dénonce les travers humains de ses concitoyens, sous Louis XIV. La
loi du plus fort ne dénonce-t-elle pas la monarchie absolu d’un
Louis XIV, déguisé sous les traits d’un loup cruel s’attaquant
à un agneau si attachant pour le lecteur? Les contes philosophiques
de Voltaire au siècle des Lumières font de même. Candide
est certes un conte agréable, mais c’est également une
dénonciation de l’optimisme, et aussi de l’esclavage à travers
l’épisode du nègre de Surinam. De plus, la critique peut se
cacher dans les pièces de théâtre, notamment les comédies. On ne
manquera pas de penser aux pièces de Molière. Sa comédie classique
est pleine d’une vive critique de la société du XVIIe siècle.
Molière s’attaque notamment aux médecins dans des pièces telles
que Le Médecin malgré lui ou L’Amour
Médecin. “Agir” n'est donc pas inconciliable avec le
divertissement, ni avec la beauté esthétique du langage littéraire.
La
Fontaine le rappelle dans “Le Cygne et le Cuisinier” : “Le doux
parler ne nuit de rien”. Pour convaincre, l'auteur engagé peut en
effet user du plaisir de la lecture. Ainsi, pour persuader de
l'importance de l'harmonie du texte afin d'inciter le lecteur à
“considérer la fin” en toute chose, le fabuliste, dans la
préface de son ouvrage, nous propose deux versions bien insipides du
“Renard et le Bouc”. C'est la version versifié du livre III qui
transmettra le mieux la morale, s'imprimant de façon agréable dans
les vers. De la même manière, durant la seconde guerre mondiale, de
nombreux poètes ont fait le choix de l'engagement dans la Résistance
et ont mis leur art au service de cette cause. Paul Eluard, Robert
Desnos ou encore Louis Aragon ont ainsi créé des chefs d'oeuvre
d'harmonie poétique qui dénoncent les cruautés nazies. La beauté
et la lutte se mêlent ainsi pour une plus grande efficacité dans la
poésie.
La
littérature apparaît donc comme un espace de liberté dans lequel
chacun peut mener le combat qui lui tient à coeur ou laisser son art
s'épanouir sans autre but que la beauté esthétique. Les auteurs
disposent d’une multiplicité de moyens pour exprimer leurs
opinions. Ils peuvent en effet dénoncer ce qui les scandalise avec
des œuvres explicitement argumentatives. Le plaisir de la lecture
peut cependant être une fin en soi, ou même être le moyen de
renforcer la portée argumentative du texte. Les écrivains peuvent
dès lors concilier engagement et création artistique. A leur suite,
les chanteurs mêlent parfois au plaisir de la musique des
engagements forts. Jean Ferrat a ainsi mis en chanson de nombreux
poèmes de Louis Aragon et a créé des textes originaux qui visent à
rappeler à chacun le génocide juif afin de ne pas reproduire les
horreurs de l'histoire.