Texte 6 : Colonisation = Chosification, l'équation qui réfute les thèses pro-coloniales.
(extrait p.22-24)
intro : Dans la première section du discours sur le colonialisme
(auteur, genre, mouvement), Césaire rappelle l’argument majeur des
colonisateurs. Colonisation = civilisation. Mais dans cet extrait de la
deuxième section, le fondateur de la Négritude s’attarde à réfuter tous les
arguments de l’Europe colonisatrice. En quoi la stratégie argumentative d’Aimé
Césaire est-elle particulièrement efficace ?
I-
Un discours poignant
a) Présence forte du locuteur
-
Anaphore de « je parle » (l.28-36) :
l’auteur affirme sa voix, le lecteur est capté
-
Pronom personnel « je », déterminant « mon »,
pronom tonique « moi » (l.22-28-36) et « moi
je » doublement du pronom : insiste sur la présence du locuteur
-
Verbes de perception « j’entends » l.24, « je
regarde et je vois » (l.3) : côté observateur, témoin ce qui donne de
la crédibilité à Césaire
b) Un art oratoire maîtrisé
-
Impératif « parlons » + 1ère
personne du pluriel + « mais » en début de phrase = invitation et
marque de l’oralité
-
Trois questions
« Sécurité ? Culture ? Juridisme ? » : rythme
effréné de ces trois questions qui se suivent et ne sont composées que d’un
seul mot.
-
Simulation d’un dialogue avec des mots qui se
font échos d’un paragraphe à l’autre, comme un jeu de questions/réponses :
- « on me parle de progrès » / « moi je parle de société vidée d’elle-même »
- « on me lance à la tête des faits, des statistiques » / » moi
je parle de milliers d’hommes »
è
Cela ajoute du crédit à Césaire puisqu’il prend
en compte les arguments de l’autre
Césaire reprend un à un tous les arguments des colonisateurs
pour les réduire à néant.
II-
Une réfutation habile
Exposition de la thèse adverse pro-coloniale
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Réfutation de cette thèse par Césaire
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1)
« Sécurité ? » : l’interrogative
permet d’emblée de remettre en cause l’argument de la sécurité
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« la force …. Le heurt » (l.3)
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2)
« Culture ? »
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-
« parodie de la formation culturelle »
(l.5) : métaphore traduisant l’absence de formation culturelle.
-
accumulation de métiers peu qualifiés (l.7)
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3)
« Juridisme ? »
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-
Accumulation et paronomase « intimidation,
pression … vol, viol » (l.12)
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4)
« On me parle de progrès, de « réalisations »,
de maladies guéries, de niveaux de vies élevées au dessus d’eux-mêmes »
(l.26) : accumulation de bénéfices pour le peuple colonisé
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Césaire répond par une accumulation « moi je parle
de sociétés vidées d’elles-mêmes, de terres confisquées, de religions
assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires
possibilités supprimées » (l.30) : anaphore de « de » +
pluriels +champ lexical de la destruction mis en valeur par une assonance en « é »
+ italique.
« sociétés vidées d’elles-mêmes » : métaphore
de la cuisine, on enlève les organes
« religions assassinées » : personnification |
5)
« des faits, des statistiques, des
kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer » (l.33) Deux accumulations
l’une dans l’autre + gradation rythmique
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La réponse de Césaire est chiffrée « de milliers d’hommes
sacrifiés au Congo-Océan » (l.37) , « de millions d’hommes »(l.40) :
gradation + indignation de l’auteur avec « creuser à la main » et « sacrifiés »
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III-
Une vive polémique
a) Déshumanisation des colonisés
-
Equation : colonisation = chosification. Particulièrement
mis en valeur par le langage mathématique, par l’italique, par le choix du
néologisme « chosification » particulièrement violent. Cette
équation fait écho à la thèse adverse qui dit que « colonisation=civilisation »
-
Plusieurs personnifications inversées : Réification
- « l’homme indigène en instrument de production » (l.22) <- champ lexical du Marxisme associé au
champ lexical de l’économie « affaire » « fabrication »
- l.7 : « la fabrication hâtive de quelques milliers d’hommes »
- « élites décérébrées » : oxymore -> la colonisation
tue la force pensante du pays colonisé
- accumulation finale qui indique qu’on leur retire tout leur part d’humanité.
Elle est renforcée par l’anaphore de « à » + la violence du mot « arraché »
-> La culture initiale des colonisés est remplacée par la culture des
colonisateurs
b) Les colonisateurs déshumanisés
-
« aucun contact humain » l.18 :
absence d’humanité
-
Enumération « la corvée …. Muflerie »
l.12 : rapport de bêtes non civilisées renforcé par l’allitération en « m »
-
« qui transforme l’homme colonisateur
en pion … en chicote » (l.20)
-
« des rapports de domination et de
soumission » (l.19) comme un groupe de bêtes sauvages
Conclusion : A travers son Discours sur le colonialisme, c’est un
pamphlet contre la colonisation que livre Aimé Césaire. Il réfute les arguments
bien pensants des colonisateurs. Il montre ainsi que la colonisation non
seulement n’est pas l’apport de la civilisation pour le colonisateur, mais qu’elle
est, en plus, une perte de civilisation pour le colonisateur. C’est ce qu’il
affirme au début de la seconde partie de l’ouvrage « il faudrait d’abord
comprendre comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur »